Non ma fille, tu n'iras pas danser
Souvenez-vous : ça se passait près de chez moi dans le 14ème, le tournage du sixième film de Christophe Honoré. Je relatai dans un billet daté du 6 novembre 2008 mon espoir déçu (de midinette vieillissante) de croiser quelques membres de la belle distribution du film : Chiara Mastroianni, Marina Foïs, Marie-Christine Barrault, Jean-Marc Barr, Louis Garrel…
Le film marquant dans les médias la rentrée ciné de septembre, je me devais de faire garder mes petits par un membre de la famille et de virevolter jusqu’au cinéma le plus proche.
36 ans, deux enfants et cette quête d’accomplissement de soi en bandoulière : l’identification ne semblait pas difficile car Léna – le personnage principal interprété par Chiara Mastroianni – est cette trentenaire tourmentée, cette femme (im)parfaite qui peine à construire ou s’emploie à déconstruire, qui refuse les compromis avec le banal, le quotidien, l’habitude, les trahisons d’une vie de couple désormais derrière elle.
Mère de deux enfants qu’elle trimballe au gré de ses tourments, elle sort blessée d’un divorce (Jean-Marc Barr en mari) et ne se voit pas encore maîtresse d’un autre homme (Louis Garrel, l’amant potentiel). Elle cherche un refuge dans sa Bretagne natale mais tombe sous le joug des pressions familiales : mère, sœur, frère et père la renvoient à ses manquements, ses erreurs, son devoir de mère et d’épouse.
Léna est attachante et insupportable : on l’infantilise, elle joue l’enfant, fait claquer des portes, gambade jambes nues dans la rosée matinale par rejet des commandements maternels, cherche constamment l’équilibre sur une corde raide. Elle veut changer, d’air, d’homme, de boulot mais garder ses enfants, les aimer, même mal, même trop et par rafales. Elle veut s’inventer hors des rails des générations passées, loin du modèle de la mère, mais le peut-elle ?
Non, ma fille est d’abord l’histoire d’une femme, unique dans sa démarche et dans sa névrose mais le film pose aussi une question de société : qu’est-ce qu’être une femme, une mère en 2009 ? Quelles réelles libertés ont été conquises depuis la trop légendaire libération féminine ? Quels interdits, quelle culpabilité ancestrale – inscrite dans les légendes bretonnes- repose aujourd’hui encore sur les femmes ? Film d'une génération de femmes aussi, la mienne, qui a cru naïvement que tout était possible, que tout était à vivre et qui réalise que la vie est le résultat de choix, donc de renoncements. Génération perdue, paumée, sans grande idéologie pour phare et qui tisse ses valeurs dans les brumes du quotidien, comme Léna prend des trains.
Le film montre tout ce qui se joue là, sans didactisme, sans effets de caricature. Mais cette volonté de subtilité dans l’écriture des personnages donne parfois un sentiment de flou, de mollesse à la vision du film. Sur le même thème de l’air de famille, Arnaud Desplechin avait excellé dans Un conte de Noël (billet du 3 juin 2008) à mettre en scène ces monstres qui cohabitent dans une même maison. Dans le cinéma D’Honoré, point de monstres mais vous et moi, des êtres avec leurs petitesses et leurs grandeurs qu’on ne peut pas vraiment détester mais dont on ne s’éprend pas non plus.
Et puis comme dans le cinéma de Desplechin, on retrouve chez Honoré des références à Truffaut : quelques longs travellings sur la campagne bretonne qui campe la beauté et le bonheur quand les personnages se déchirent, travellings appuyés par la BO mélodramatiques d’Alex Baupain, un couple qui embrasse/j’embrasse pas, elle en marinière comme la Moreau de Jules et Jim et puis une femme qui marche dans la nuit à Paris ou qui pense sa vie dans les allées du père Lachaise (visions d’éternel provincial !) … C’est plaisant mais on cherche les éléments d’une veine ou d’une réappropriation plus personnelle.
Comme Léna, c’est d'ailleurs peut-être une volonté du réalisateur, le film est éparpillé non dans sa construction (le diptyque province /Paris a tout sons sens) mais dans ce qu’il pourrait dire des relations humaines. On ne sait justement s’il en dit trop ou pas assez : le sujet de la relation mère-fille et sœur à sœur est à mon sens celui qu’il aurait fallu creuser davantage. La palette des émotions évoquée aurait mérité un traitement plus ample : les scènes entre Léna et sa sœur Frédérique – drôles et tendres - sont d’une belle justesse sur l’amour, la jalousie, l’indéfectible protection et complicité qui unissent des sœurs. Et ce fil est tiré jusqu’à la fin du film avec la figuration de l’héritage maternel représenté par le conte breton et ce souvenir raconté par la mère du jour où elle avait perdu ses filles parties à la recherche d’un petit chat dans une forêt, alors qu’elle était accompagnée par un monsieur qui n’était pas leur père… Cette scène – cette belle scène – condense tout le film : l’enfance perdue de petites filles à cabans rouges, les histoires qu’on se raconte dans le ventre d’une grotte, la Bretagne des forêts de légende et puis la vie des adultes, l’hésitation d’une mère à en aimer un autre, l’amour paniqué, maladroit de ses enfants, Paris et l’avenue Reille sous la pluie froide de novembre.