Critique littéraire : A l'abri de rien, Olivier Adam.

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a-l-abri-de-rien.jpgMarie est mariée, mère de deux enfants ; elle vit dans un pavillon aux abords d’une ville du nord. Chaque jour, elle erre dans cette maison qu’elle ne sait pas habiter. Elle dérive peu à peu, à la surface de la dépression. Elle croise d’autres silhouettes errantes, ces réfugiés sans toit, qu’on appelle les « Kosovars ». Puis un jour, sans savoir pourquoi, elle entre dans la tente de la Croix-Rouge qui accueille ces hommes le temps d’un repas chaud et se joint aux bénévoles. A partir de ce jour, elle s’engage corps et âme pour ces êtres qui ont quitté leur pays au prix d’efforts sans nom et qui attendent en vain un ailleurs rêvé. Pendant des semaines, cette femme qui ne sait plus vivre, met tout en œuvre – au mépris des dangers-  pour les aider à survivre.

 

Avec cette histoire à la fois singulière et collective, Olivier Adam, jeune auteur reconnu et récemment retenu dans la sélection Goncourt, offre un roman qui réussit à traiter un drame d’actualité tout en observant ce qui, au-delà de celui-ci, fonde l’humain. 
En effet, le roman n’est pas réductible à la question des émigrés clandestins même si l’auteur affiche une position claire par rapport à celui-ci : celle de l’homme révolté par la violence infligée à ces hommes qui ont choisi de partir. L’intérêt réside dans le questionnement individuel mis en œuvre sur la place de l’individu dans le monde, sur ce qui fonde son enracinement, et plus encore, son déracinement. Il superpose dans son récit l’éloignement physique, celui de ces hommes qui fuient un pays pour un autre et l’éloignement intérieur : Marie, le personnage principal, est une égarée dans son univers quotidien. Sans quitter son territoire, cette petite ville du nord de la France froide et trempée, elle passe alors la frontière, la frontière des habitudes, des renoncements, des convenances, au risque de passer la frontière des vivants. Elle se détourne des limites quotidiennes : le manque d’argent, la mesquinerie coutumière, le poids des choix passés, pour toucher La Limite : la mer –horizon d’espoir et de douleur-, l’amour –fraternel et impossible-, la mort – à peine retardée- de l’autre et d’elle-même. Elle n’est pas héroïque mais héroïne au sens plein, personnage complexe, tout en failles, qui trouve sa grandeur dans une action qui est oubli de soi, le dos tourné à la raison. Rageuse et douce dans son combat de chaque jour, fragile et forte sous les coups qu’elle reçoit, bouleversante dans son obstination à donner à ceux qui n’ont rien -elle qui a si peu - Marie est le personnage qui permet de sonder le degré d’étrangeté qu’un être peut avoir face au monde et à l’existence.

 A l’abri de rien sonne en outre comme un rappel nécessaire à l’oreille des citoyens européens. Sans discours, sans surcharge documentaire et sans démagogie, l’auteur nous interpelle : nous qui avons tout, qu’avons-nous ?  Le sentiment de vacuité qui tourmente Marie avant son engagement dans cette cause humaine est inversement proportionnel au trop-plein lié à la société de consommation. Olivier Adam excelle à figurer ce gavage sensoriel qui ôte tout appétit. Il dresse l’inventaire des enseignes qui bouchent l’horizon de cette femme, au sortir de son lotissement : « Go Sport Conforama  Norauto, Kiabi Maisons du Monde Halle aux Chaussures… ». Il déverse pour nous le contenu du caddie hebdomadaire : « sa bouteille de pastis ses paquets de pâtes, ses cuisses de poulet ses côtes de veau ses bières… ». Tout s’accumule et s’annule, y compris les virgules, qui, souvent absentes, figurent l’engloutissement autant que le vide. Les objets de consommation courante ont perdu leur sens dans la vie de Marie : « le paquet de céréales éventré les fourchettes les couteaux les cuillers, les biscuits la bouteille de lait » ; ils retrouvent une signification dans le don.

Pourtant, Olivier Adam dessine le portrait d’une femme qui fait l’expérience de la perte : perte de l’appétit, du sommeil, des repères temporels, perte des siens, de la conscience qu’elle a d’elle-même. Mais paradoxalement, c’est à travers cette perte qu’elle découvre le don, l’autre, l’essentielle humanité. A défaut de casser les murs censés la protéger, elle lâche les liens qui l’unissent à son mari, à ses enfants, à sa mère, pour apprendre d'autres liens : l’amitié, la solidarité, sous une tente de réfugiés que les autorités peuvent à tout moment décider de démonter. Elle prend tous les risques, ose les efforts sans lendemain ; elle côtoie la bêtise, la violence et s’approche peu à peu – fragile entêtée  - des rives de la folie.

 

Roman marquant de cette rentrée littéraire, A l’abri de rien, offre un portrait sensible, loin de tout pathos de cette femme qui croit pouvoir porter ce que d’autres appellent « la misère du monde ».

On peut reprocher à l’auteur,  en particulier au début de la lecture un décalage entre l'environnement de Marie - sordide dans sa banalité- et son niveau de langue, en particulier dans son dialogue intérieur. Mais il faut reconnaître qu’au fil du roman, ce sentiment s’estompe, qu’Olivier Adam crée les outils d’une rencontre entre le lecteur et ce personnage, en particulier grâce aux passages très réussis sur l’adolescence de cette femme.

Le lecteur peut ainsi osciller entre identification, attachement ou rejet mais l’indifférence est impossible. Marie –la bien nommée ?- rappelle que les abris sont fragiles, qu’on ne gagne rien à fermer les yeux et que la cause humaine est l’affaire de tous.

 

 

Olivier Adam a 33 ans. Il est l’auteur entre autres de Je vais bien, ne t’en fais pas (édité chez La Dilettante en 2000 et adapté avec succès au cinéma), A l’ouest (L’Olivier, 2001), Poids léger (L’Olivier, 2002), Passer l’hiver (L’Olivier, 2005), Falaises (L’Olivier, 2004).

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