Soleil d'hiver

Publié le par Maude

     
Des mois que Clélia se refusait à partir pour ne pas voir maintenant d’autre solution que cet envol précipité.

         Balancement indéfini et continuel entre une possibilité et l’autre : bouger / ne pas bouger.

         Et dans tous les cas toujours cette difficulté suprême, exclusive et torturante dans sa répétition : choisir, ne pas s’en remettre au hasard, ni au destin, notion à laquelle elle avait cessé de croire très tôt par un effort artificiel de la raison. Car, en douce, elle n’avait pas abandonné complètement ce plaisir absurde et enfantin de la lecture des signes. Elle continuait de nourrir un penchant romantique, adolescent pour ce travers mystique et ridicule qu’elle avait emprunté à Fabrice del Dongo, le héros de La Chartreuse de Parme de Stendhal. Elle avait pourtant reçu d’autres enseignements que ce naïf et côtoyé d’autres maîtres que l’abbé Blanès mais à mesure que les signes disparaissaient, l’âge avançant, elle s’était mise – paradoxalement – à entretenir une nostalgie pour ce monde imaginaire, cette projection spirituelle, cette vacance de l’intelligence.

         C’est ainsi qu’une fois encore, incapable de décider, de savoir ce qu’elle désirait vraiment – partir/rester – elle s’en était remise à cette éventualité du signe, de l’élément favorable, du présage.

         Elle aurait bien sûr était bien incapable d’en faire la démonstration à quelqu’un et même d’élaborer, de reconnaître ce mécanisme semi-conscient de son fonctionnement. Pourtant, jusqu’au bout, elle avait attendu l’élément déterminant, incontournable ; celui qui donnerait un sens au choix.

         Mais tendant aujourd’hui ce miroir à Clélia, elle ne pourrait esquiver le reflet révélateur ; toute sa vie n’avait été qu’un balancement continuel : risquer, oser ou  travailler vaguement un rêve, de loin ; balbutier des bouts de phrase sans but affirmé, sans entreprise claironnée ; n’être d’aucun projet volontaire.  

         Dans sa géographie intérieure, elle côtoyait des bouts de terre inconnus, commençaient des tours du monde, mettaient au point des parcours, des plans de campagne avant d’emprunter définitivement les impasses comme si tout sa personne n’était vouée qu’à cette forme de voyage.

         Elle devait impérativement trouver du travail, n’en trouvait pas, n’était pas sûre de savoir ce qu’elle voulait, ce qu’elle pouvait faire, était de santé fragile, sous la menace constante d’un cancer imaginaire, d’une fin précoce, d’un accident, d’une catastrophe, mais heureuse, malgré tout, par à coups, dans la fulgurance de l’instant joyeux et puis soudain retrouvant le vide, ne sachant quel sens donner à tout cela, ballotée par ces oscillations de l’humeur, se demandant si tel départ lui ferait du bien ou s’il la plomberait, et puis, surtout, si elle le méritait, si elle y avait droit, si l'immobilité n'était pas plus douce, enfin, moins périlleuse. Et finalement, riant de tout cela pour ne pas en pleurer et choisissant  le mouvement, pirouette ultime, mentale et physique pour faire taire le lit des angoisses, la litanie des peurs.

Publié dans Ecriture

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P
"La sagesse, c'est d'avoir des rêves suffisamment grands pour ne pas les perdre de vue lorsqu'on les poursuit."<br /> Oscar Wilde...
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A
beau..tout simplement...
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C
Qu'elle bouge et qu'elle parte ! C'est " La Porteuse de Charme ".
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U
Ah ! la Chartreuse, plein de souvenirs avec ce livre...
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