Toxique Sagan

Publié le par Maude

        

         On reparle de Sagan grâce à la douce pugnacité de son fils unique, Denis Westhoff. Il a courageusement accepté l’héritage financièrement désastreux de sa mère et l’aide à refaire surface, à exister de nouveau dans les rayonnages des librairies.

         Ses titres en avaient en effet été exclus. Démodée, disaient les éditeurs.

         Il faut dire qu’elle avait tellement peu programmé, compté, anticipé sur le demain et l’après.  Aucune stratégie. Aucun plan de carrière. Des lignes et des lignes écrites dans un fauteuil, sur un lit, un cahier sur les genoux. « Ecrire est la seule vérification que j’ai de moi-même.» Pour le reste…

         Et pourtant qui ne connaît pas l’histoire ?

         Un mince roman la propulse à 17 ans starlette littéraire et lui assure une notoriété mondiale sous un pseudo emprunté à Proust.

         Elle décolle et elle dérange. On la taxe de futilité et même – aux yeux d’un Mauriac- d’immoralité. Elle est trop jeune. Trop libérée. Un peu en avance sur l’Histoire. Le scandale de la publication de Bonjour Tristesse en 1954 devance la révolution de mai de 14 années !

         Elle est son époque : festive et mélancolique, gaie et désabusée. Epoque de balancement entre deux styles de vie, deux Ecoles : l’élégance bourgeoise et la vie de bohème.

         Elle est la route, le déplacement, le mouvement. Elle adule la vitesse, risque sa vie au volant de luxueux bolides, y laisse une partie de son corps et une addiction aux drogues.

         Elle devient au fil du temps une caricature mais s’amuse de son personnage public, maniant l’autodérision avec une finesse, un style et une intelligence qui forcent le respect.

         Elle n’empêche pas pourtant l’alignement des chiffres : des millions de livres vendus, des titres traduits en 15 langues, des gains de jeu mais aussi des pertes, des dettes, des dettes et encore des dettes qui la laissent exsangue.

         Elle meurt ruinée malgré une célébrité non démentie à travers le monde entier.         

          Partout à l’étranger elle représente un certain goût français qui a certes  à voir avec la Haute Couture et les nourritures terrestres mais aussi avec les mots, une plume qui associe un beau classicisme à une ironie mordante.

         Aujourd’hui, elle fascine de nouveau en France. Elle redevient "tendance". Pourquoi?

         Peut-être parce qu’on l’assimile à tout ce que notre époque prohibe : l’alcool à outrance, la vitesse excessive, la drogue et la dépense. Tout ce que Sagan résumait d’un trait : « Il est plus urgent de vivre que de compter. »

         Le choix de Jean-Marc Roberts, patron de Stock, de rééditer Toxique pour « relancer » Sagan a sans doute un lien marketing avec cet air du temps. C’est une manière  habile de la faire rejoindre les icônes paradoxales de notre époque.

         Qui n'est pas avide de ces destins à la risque tout ?  On intime au citoyen une vie saine, version cinq fruits et légumes par jour. On lui refuse la clope dans les lieux publics. On lui recommande toute forme d’abstinence.

         Alors dans ses nuits les plus folles, il rêve de mener « une vie de patachon ». A  coups de presse people, il se gave des excès de quelques unes : une Kate Moss sniffeuse de coke, un Pete Doherty version poète maudit, une Amy Winehouse en Rehab à perpète… Jusqu’à une certaine Britney, elle aussi, définitivement accro au Toxic.


       Mais il faut lire ce Toxique de Françoise Sagan justement pour comprendre pourquoi s'exerce aujourd'hui cet attrait pour les excés, les dérives des autres.

       Et si ce n'était qu'un biais pour évoquer la mort dans une civilisation où elle est définitivement tabou? Si c'était l'unique manière de révèler cette inommable angoisse ? De dire la peur de la déchéance du corps dans une société acculée au jeunisme?

        D'interroger la vie en quelque sorte, cette "horrible plaisanterie".

 

 

Publié dans Littérature

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A
<br /> Sagan je l'ai découverte sur le tard mais j'ai tout de suite aimé son style et son propos. Le personnage j'en avais entendu parlé, comme tout le monde, et je me faisais une fausse idée de son<br /> travail à partir du qu'en dira t'on; depuis j'ai parcouru plusieurs de ses oeuvres et je n'ai jamais été déçue.<br /> A n'en pas douter, je vais lire "toxique"!<br /> <br /> <br />
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Q
<br /> J'ai toujours aimé Sagan, depuis que je l'ai découverte.<br /> <br /> Je n'ai pas lu "Toxique".<br /> <br /> Mais, je sais que je le lirai.<br /> <br /> Je me dis que j'ai fait peu de cas de son personnage public, ce que j'aimais, c'était ce que je lisais dans ses livres.<br /> <br /> <br />
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