Tendre est la nuit
Je referme Tendre est la nuit et j’apprends qu’une sorte de Biopic sur la relation tumultueuse du couple Fitzgerald devrait être tourné. Le film, d’abord annoncé sous la direction de Nick Cassavetes serait finalement dirigé par John Curran, sous le titre du second roman de Francis Scott F., Beautiful and Damned.
Tout a été dit ou presque sur ce duo mythique des années folles : jeunes, beaux, riches, Francis et Zelda incarnèrent le parfum sulfureux de la modernité. Expatriés de la Génération perdue, ils marquèrent les esprits par leurs frasques amoureuses, leur train de vie fastueux sur la Riviera française, l’alcoolisme de l’un, la schizophrénie de l’autre.
Leur destin fascine comme fascine toute vie comprise comme un flamboiement permanent. Jusqu’à l’extinction tragique et prématurée, tout concourt à faire de Scott et Zelda des icônes.
Cette dernière remporte cependant une victoire posthume. Fantasque et haute en couleurs, Zelda a sans doute brîmé sa sensibilité d’auteur, sous l’empire d’un mari-écrivain, jaloux et autoritaire. Elle n’aura finalement publié qu’un livre en son nom : Accordez-moi cette valse (1932).
Pourtant cette première « garçonne américaine », figure avant-gardiste du féminisme, trouve aujourd’hui matière à « revivre ». Le prix Goncourt 2007 a récompensé Gilles Leroy pour Alabama Song, roman dans lequel l’auteur s’est glissé dans la peau de Zelda, ses joies excessives et ses tourments impénétrables. On devrait aussi la retrouver bientôt sur les écrans, incarnée par l’actrice britannique Keira Kneightley.
Pourtant, ce n’est pas rendre justice au bourreau de mari que de penser que le meilleur portrait de Zelda a été tracé par Francis Scott Fitzgerald lui-même, sous les traits de Nicole Diver, dans Tendre est la nuit (1934).
Le roman, très fin dans sa composition et son jeu sur les points de vue, rend habilement compte de la complexité du personnage et de la construction maladive du lien amoureux.
On ne peut le résumer sans le trahir : sa rareté tient surtout à la subtile profondeur psychologique qui s’en dégage. Roman des apparences trompeuses et des songes perdus, roman de l’expatriation continue et des intersaisons douloureuses, Tendre est la nuit est aussi une déclaration d’amour, unique et fragile, à une femme qui finit par devenir elle-même.
Le titre, aussi énigmatique que splendide, est un emprunt à un poème de John Keats, Ode à un rossignol, placé en exergue du roman :
Avec toi, maintenant ! Combien tendre est la nuit
(…)
Mais il n’y a plus de lumière
Sinon ce qui descend du ciel avec le vent
Pénètre l’ombre des feuillages
Et serpente à travers les chemins de mousse.