Débocalisé(e)
Je vais quitter mon bocal
le temps de fouler d'autres macadams
Je vais un peu déserter ces pages
mais
ne partez pas si vite!
je ne m'absente
que le temps de cultiver deux ou trois (im)perfections...
Comptez donc une ou deux inspirations et
Madame reprendra place,
sage et disponible.
Pour me faire pardonner
cette petite escapade
je vous offre
l'un de mes textes poétiques préfèrés.
A tutti : Ciao
A l’heure où la lumière enfuit son visage
dans notre cou, on crie
les nouvelles du soir,
on nous écorche. L’air est doux. Gens de passage
dans cette ville, on pourra
juste un peu s’asseoir
au bord du fleuve où bouge
un arbre à peine vert,
le temps de faire ce voyage avant l’hiver,
de t’embrasser avant de partir ?
Si tu m'aimes
retiens-moi, le temps de reprendre souffle, au moins,
juste pour ce printemps, qu’on nous laisse tranquilles
longer la tremblante paix du fleuve, très loin,
jusqu’où s'inclinent
les fabriques immobiles…
Mais pas moyen. Il ne faut pas que l’étranger qui marche
se retourne, ou il serait changé
en statue : on ne peut qu’avancer. Et les villes
qui sont encore debout brûleront. Une chance
que j’aie au moins visité Rome, l’an passé,
que nous nous soyons vite aimés, avant l’absence,
regardés encore une fois, vite embrassés,
avant qu’on crie
« Le Monde » à notre dernier monde
ou « Ce Soir » au dernier beau soir qui nous confonde…
Tu partiras.
Déjà ton corps est moins réel
que le courant qui l’use, et ces fumées au ciel
ont plus de racines que nous. C’est inutile
de nous forcer. Regarde
l’eau comme elle file
par la faille entre nos deux ombres. C’est la fin
qui nous passe le goût de jouer au plus fin.
Philippe Jaccottet, L’Effraie